LE SUICIDE DANS LE MONDE DU TRAVAIL, UNE DERIVE GRAVE DANS NOTRE SOCIETE!

Publié le par Myriam

                    

 

 Les suicidés de  France-Télécom, de Renault et d’autres entreprises  ont relancé dans les médias une polémique qui dure depuis des années. Une économie axée de plus en plus sur la course au profit, sur la rentabilité maximum exigée par des actionnaires imperméables à toute considération humaine, pousse un nombre croissant de travailleurs, d’employés, de cadres, au suicide. Les conditions du monde du travail sont devenues dans certaines entreprises tellement insupportables et inhumaines, que les suicides se multiplient… Certes, le suicide a toujours existé dans la société et était imputable à des causes diverses : conflits familiaux, séparations, infidélité et trahison, maladie jugée incurable ou encore pour faillite, endettement excessif, déshonneur. Le suicide  pour cause professionnelle était plus rare. Il est devenu aujourd’hui le symptôme d’un monde du travail devenu un lieu de conflits et de souffrances. Comment en est-on arrivé là ?

       Dans la vie  normale  chaque être humain considère sa vie comme ce qu’il a de plus précieux. Que ne fait-on pour conserver sa santé afin de prolonger, autant que faire se peut, sa vie ?  Alors comment est-il concevable de préférer renoncer à sa vie ? Quel est l’état psychologique de l’être humain qui préfère  mourir ? Nous savons, par des témoignages écrits de certains suicidés, que ces derniers étaient au bout de leurs forces physiques et psychologiques. Ils se sentaient seuls, abandonnés, trahis. Cela leur enlevaient  tout goût à la vie.

   On peut imaginer qu’il faut une motivation forte pour pousser un être humain à se soustraire à la vie. 

   Le suicide dans le cadre de la vie sociale professionnelle est de toute autre nature. Il a pour cause un management spécifique instauré au niveau le plus élevé de la direction, pour installer un climat constant de « challenge », de rivalité, de compétitions ininterrompues où chaque individu doit « être plus performant que l’autre ». Les perversions n’ont dès lors plus de limites : surveillance constante des performances, notation et contrôle permanent des résultats, rappels à l’ordre à la moindre faute…Là où autrefois on encourageait l’esprit d’équipe selon l’adage « l’union fait la force » , on engage des « coachs » qui incitent chaque individu à prouver aux autres qu’il est le plus fort, qu’il répond le mieux à « l’image de l’entreprise ». Tout maillon faible de l’équipe est vite condamné à être éliminé, parfois malheureusement avec  l’approbation des autres participants. Seuls comptent  les résultats à atteindre, tel que les décrètent les supérieurs. L’organisation est pyramidale : tout en haut des propriétaires et actionnaires, tout en bas les ouvriers, employés et entre les deux des cadres dont on a fixé en haut lieu les objectifs et qui sont, comme le reste du personnel, soumis aux mêmes pressions constantes. Toute une organisation axée uniquement sur la rentabilité maximum de l’entreprise, des bénéfices censés augmenter de manière spectaculaire pour contenter les actionnaires. Cette forme d’économie « à l’américaine » présente toutes les caractéristiques de l’inhumanité. L’idée de la libre concurrence s’est pervertie à n’être plus qu’une mise en rivalité constante de chaque individualité contre l’autre. Plus de solidarité, plus de sentiments humains, plus de considération d’ordre humain, voilà le triste état conduisant aux multiples souffrances, brimades, échecs, sur le lieu du travail. Comment un être humain saurait-il vivre à la longue dans un milieu où il ne rencontre qu’inhumanité constante ? Devant de telles dérives, point n’est besoin de se poser la question : le suicide, pourquoi ? Toutes les conditions hostiles à l’être humain sont évidentes, reste à savoir comment y remédier…Ce qui est consternant et totalement insupportable, c’est le fait que souvent les victimes d’un tel monde du travail sont, pour une part,  parfois aussi responsables de cet état de fait, par leur passivité en face d’injustices, leurs lâchetés lors de confrontations, leur participation volontaire ou involontaire à des agissements inhumains encouragés par leurs supérieurs. Chacun croit pouvoir sauver son propre emploi en participant à ce jeu de massacre…jusqu’au jour où il sera lui-même  la victime.  

     Bien des suicides auraient peut-être pu être évités  si des mains secourables s’étaient tendues, des paroles de consolation dites, un  geste de solidarité donné,  montrer à l’autre qu’il n’est pas seul...Et là se révèle une carence extrêmement grave dans notre société : notre société matérialiste est devenu tellement égoïste, qu’elle ne perçoit plus celui ou celle qui vit à sa portée et qui souffre. Au lieu de vivre « humainement » dans notre société, de partager la souffrance des autres, nous nous contentons de déléguer nos responsabilités à des « spécialistes ». Pour toutes les difficultés d’ordre psychologique, il est plus aisé de faire appel à des psychologues et des psychiatres, que de s’engager dans une solidarité confraternelle. Une société du « chacun pour soi » devient un enfer quand le malheur nous touche.

 Certains individus résistent mieux aux agressions évoquées. Ils possèdent une force intérieure capable d’endurer des épreuves, souvent sur une longue durée.

   Pour analyser ces forces intérieures capables d’être un antidote au suicide, il faut essayer de comprendre ce qui donne à chaque individualité le prix de sa propre existence.  Toute individualité « existe » en fait sous deux visions différentes, mais complémentaires : celle que l’être humain porte sur lui-même et celle que les autres portent sur lui.

   La vision personnelle revient à une sorte d’introspection : mes qualités, mes défauts, mes aptitudes, mes espoirs, mes réussites, mes échecs, ma projection sur l’avenir. Selon mon humeur, mon état psychologique, ce bilan sera positif ou négatif. Si je m’enferme dans le négatif absolu, je m’ouvre à la névrose, à la dépression. Le regard que me porte les autres, est tout aussi aléatoire. Il peut être valorisant ou destructeur. Si j’y attache trop d’importance cela peut me remettre debout ou me détruire. Mais comment  saurait-on, sur le seul aspect extérieur de mon apparence, porter un jugement valable de ce que je suis en mon fort intérieur ? Finalement je suis seul à pouvoir juger mes capacités d’être humain. Une fois que je suis capable de me distancer du jugement des autres, je me découvre plus fort et plus libre. Si je découvre les richesses véritables qui sont en moi, je ne suis plus tributaire  de ceux qui s’arrogent le droit de porter un jugement sur moi, je deviens donc moins vulnérable.

  Parfois on peut observer, comme nous l’avons évoqué plus haut, que certains individus résistent mieux aux épreuves de la vie que d’autres. Pourquoi ?  S’agit-il « d’inconscients » ? Peut-être. Mais ne pourrait-il s’agir aussi d’êtres  « plus conscients » que d’autres et qui trouvent en eux des ressources  que d’autres ne possèdent pas ?

   Nous savons qu’à toutes les époques de l’histoire humaine, il y a eu des hommes et des femmes qui ont souffert toutes sortes d’épreuves, parfois très dures, mais qui ont continué à vivre, ont « repris le dessus » pour repartir et reprendre espoir : ils avaient en eux une force qui les aidait à surmonter toutes les difficultés de la vie. Cette force intérieure prend diverses formes : foi religieuse, foi en la vie, foi en ses idéaux, foi en la justesse de ses convictions et ses actions, foi en sa propre valeur.  En « communiant » à cette force invisible, mais réelle quant à son pouvoir, ils continuaient à « croire à la vie » et à ses possibilités infinies. L’avenir restait ouvert sur des lendemains plus prometteurs et le miracle de la vie signifiait que tout était encore possible. Ils vivaient sous l’idée maîtresse « aide-toi et le ciel t’aidera »…Aujourd’hui, une bonne part de notre société matérialiste et technique a complètement perdu la notion d’âme humaine, de spiritualité, de transcendance. L’être est réduit à son aspect physiologique, matériel, où l’âme humaine n’est perçue que comme une résultante de divers processus chimiques, et où toute idée de transcendance du moi humain a disparu. L’être matérialiste, athée, ne trouve en lui que le néant…Il ne peut trouver  aucun point d’appui qui lui permette de se remettre debout. L’individu, dans la société égoïste contemporaine, est complètement isolé. Il n’y trouve pas la solidarité dont il a besoin pour exister, aucune fraternité, aucune empathie… Or, l’appel du vide, pour un être désespéré, abandonné par la société où il vit, l’entraîne à perdre la joie de vivre, le goût d’aimer et de partager, le désir de vivre.

    Oui, notre société est très malade et le nombre de suicides croissant chez les individus de tous âges (les jeunes en offrent une image terrifiante), de tous statuts (le suicide n’est pas le triste privilège des pauvres), est un des symptôme d’une crise sociale grave. Si nous voulons rendre la vie plus « vivable », il nous faudra mettre tout en œuvre pour  empêcher toutes ces dérives d’inhumanité dans la vie sociale.

   La société occidentale ne manque pas de moyens, de richesses de toutes natures. Au début du 20ème siècle, quand les sciences commençaient à célébrer les grandes inventions, les innovations techniques de plus en plus spectaculaires, les savants, les hommes politiques, les économistes promettaient à l’humanité, un avenir meilleur où la misère serait éradiquée et où tous les êtres humains bénéficieraient d’un bonheur parfait. On pensait que le progrès apporterait  aussi un humanisme et une morale citoyenne. La réalité nous démontre le contraire. Certes, les sciences continuent à progresser, dans un rythme sans cesse accéléré, mais la morale humaine, la véritable solidarité, semblent régresser sans cesse davantage. Les dérives de notre société génèrent de plus en plus de victimes, engendrant parallèlement aussi de plus en plus de violence.

Nous ne sortiront de cette impasse que si nous redonnons à l’être humain la place qui lui est due : le centre de toute la vie sociale. Toute vie sociale où un seul individu est abandonné, a perdu sa véritable raison d’être. L’individu n’est pas un simple rouage, remplaçable, négligeable, d’une grosse machine : il est une partie constituante et essentielle d’un tout. Sinon la société devient inhumaine et risque de disparaître toute entière.

Publié dans Echange d'idées

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L
<br /> On ne peut qu'être d'accord !<br /> <br /> <br />
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